Nous avons pu explorer au cours de précédents articles du Kalendrier de l’Avent 2019 certains aspects du fonctionnement du Lightning Network. Pour rappel, ce-dernier est un protocole de paiement fonctionnant “au-dessus” du protocole Bitcoin, et capable d’absorber des millions de paiements instantanés par seconde. Pour vous rafraîchir la mémoire, n’hésitez pas à consulter les articles précédents, qu’il s’agisse de l’introduction au Lightning Network (LN), du fonctionnement de son Justice System, ou encore du modèle économique de fees sous-jacent.
Le Lightning Network vient donc répondre à deux problématiques importantes du protocole Bitcoin : la scalabilité (le nombre de transactions par seconde sur Bitcoin est limité à 7) et l’immédiateté des transactions (il faut attendre un certain temps avant qu’une transaction Bitcoin soit confirmée). De plus, Bitcoin en lui-même n’est pas adapté pour les petits paiements car les frais de transactions sont alors prohibitifs. A l’inverse, le Lightning Network est particulièrement adapté aux micro-paiements, puisque les frais de transactions sont quasi-nuls. (On notera cependant que pour des paiements plus importants, de l’ordre de la centaine d’euros par exemple, les frais du LN peuvent s’avérer plus élevés que ceux de Bitcoin, puisqu’une partie des frais est proportionnelle au montant envoyé.)
En fournissant une solution à ces trois problèmes, le Lightning Network renvoie donc dans les cordes les opposants à Bitcoin qui plaident que cette monnaie est inutile car “on ne peut pas acheter son café avec” (argument par ailleurs dénué de sens, car Bitcoin est bien utile par de nombreux autres aspects).
Bitcoin et les commerçants
Il est donc possible pour les commerçants, grâce au LN, d’accepter les paiements en Bitcoin, même pour de petits montants. De plus, les frais liés aux transactions sont bien inférieurs à ceux prélevés par Visa ou Mastercard lors d’un paiement par carte bancaire. Les raisons sont nombreuses alors pour les commerçants comme pour les consommateurs de recourir à ce moyen de paiement. Et pourtant, à part quelques exceptions (dont par exemple un bar munichois, le Bikini Mitte, que je recommande), son usage est assez peu répandu dans les établissements physiques, et ne se démocratise qu’assez lentement sur les stores en ligne. D’où peut donc provenir cet apparent paradoxe ?
Plusieurs aspects peuvent expliquer cet état de fait, mais l’un d’entre eux est la complexité technique pour un néophyte à mettre en place un terminal de paiement acceptant les transactions sur le Lightning Network. C’est alors que sont nés des projets de processeurs de paiements Bitcoin, à la fois on-chain ou sur le Lightning Network, visant à permettre aux commerçant d’accepter facilement les paiements en Bitcoin.
BitPay, ou le retour du tiers de confiance
Lorsque l’on pense à Bitcoin, l’idée de s’affranchir des tiers de confiance que sont les banques vient assez rapidement et naturellement. Cependant, quand il s’agit de créer un outil permettant aux commerçants d’accepter les paiements, un élan naturel fut de repasser par la case “centralisation”, avec des processeurs de paiement comme BitPay qui assument le rôle d’intermédiaire entre le commerçant et le consommateur souhaitant régler en Bitcoin (que ce soit on-chain ou sur le LN). Cette solution présente l’avantage certain de retirer toute complexité pour le commerçant. En échange d’une commission de 1%, d’un manque de contrôle sur les fonds et d’une certaine opacité. D’autant que la plupart des commerçants préféreront encore convertir au moins une partie des bitcoins reçus en monnaie fiat, ne serait-ce que parce que c’est dans cette monnaie que sont généralement payés fournisseurs et charges. A ce compte, autant passer par le système traditionnel et, si le commerçant le désire, convertir une partie des recettes en Bitcoin pour profiter de son aspect réserve de valeur.

BTCPay
Le manque de transparence évoqué plus haut s’est cruellement fait sentir lorsque BitPay s’est fendu d’un tweet dans lequel l’entreprise répendait de fausses informations sur l’implémentation à venir de Segwit, en tirant inutilement le signal d’alarme, tout en défendant SegWit2x. SegWit et SegWit2x avaient la même finalité : augmenter la taille des blocs Bitcoin (pour passer de 1 Mo à 2 Mo). Cependant, là où le premier ne nécessitait qu’un soft fork, le second requérait un hard fork car il changeait « en dur » la taille des blocs. Or, si de nombreuses entreprises (dont BitPay) étaient favorable à SegWit2x, ce n’était pas le cas d’une bonne partie de la communauté. Nicolas Dorier, un dévelopeur dont nous reparlerons dans quelques instants, met alors BitPay face à son mensonge dans un tweet devenu iconique :
On notera par ailleurs que SegWit2x sera effectivement abandonné, faute de consensus (tandis que Segwit sera bien adopté, mais vous en saurez plus dans un prochain article). Ce tweet marque d’une certaine façon la naissance de BTCPay Server (BTC Pay pour les intimes), qui est un processeur de paiement open source et auto-hébergé, garantissant ainsi aux commerçants un contrôle total sur leurs fonds, des frais moins élevés ainsi qu’une transparence absolue.
Concrètement, BTCPay permet ainsi à chacun de déployer son propre noeud complet, de recevoir des paiements à la fois on-chain et via le Lightning Network, sans devoir placer sa confiance dans un tiers, et avec une documentation et une optimisation permettant d’utiliser cette solution facilement (d’autant qu’il y aura toujours quelqu’un dans la communauté pour prêter main forte en cas de besoin). Là où BitPay gérait tout ce processus, le commerçant est maintenant en charge de tout cela, mais il peut compter sur un outil pensé pour rendre simples toutes ces opérations. Un processeur de paiement pour Bitcoin, tel qu’il aurait toujours dû être, en somme.

Des questions ?
Nous avons également pu poser quelques questions à Nicolas Dorier en personne. C’est en quelque sorte le papa de BTCPay, alors son avis sur Bitcoin, le Lightning Network et leur futur nous intéressait beaucoup. C’est l’heure de l’interview !
BTCPay Server, on l’a vu, permet à tout un chacun d’accepter les paiement en Bitcoin (à la fois on-chain et via le LN), avec un logiciel open-source et auto-hébergé. Quelle est votre vision sur l’adoption de tels systèmes par les commerçants ?
Nicolas Dorier : Je pense que l’adoption retail (les commerçants physiques) sera limité. Les cartes de crédits et le cash fonctionnent bien. L’exception sera peut-être dans les zones touristiques. Par exemple, si la Chine impose une limite de retrait à l’étranger pour « lutter contre l’évasion fiscale », alors les touristes chinois n’auront pas d’autre choix. Pour les commerces locaux dans des zones non touristiques, Bitcoin n’est pas très utile.
Le deuxième point d’adoption est bien sur le commerce en ligne. Personnellement, je n’utilise jamais ma carte bancaire sur internet pour des raisons de sécurité. Il est facile maintenant d’acheter tout ce que l’on veut grâce aux gift cards qui se vendent en bitcoin.
Où en est le Lightning Network dans son développement ? Pensez-vous qu’on puisse d’ores et déjà le considérer comme mature ?
ND : Le lightning Network fonctionne. Je ne dirai pas que c’est mature, mais les intéressés peuvent l’utiliser facilement. ACINQ, societe francaise, a créé le wallet mobile lightning « Eclair », le plus simple d’utilisation. Pour ceux qui veulent Lightning sur un serveur, utiliser BTCPay est la manière la plus simple de l’installer.
L’adoption de Bitcoin se poursuit, lentement mais sûrement. Pensez-vous que le rythme va s’accélérer ? Voyez-vous une adoption large dans le futur, grâce notamment à des projets open source comme BTC Pay ?
ND : Les facteurs impactant l’adoption de Bitcoin seront :
- Les régulations financières qui font que l’argent est de plus en plus difficile à transférer
- La globalisation, dans le sens où l’argent se dépense de moins en moins à l’endroit où il est gagné
- La guerre contre le cash, qui vise à faire en sorte que toute transaction passe par les banques
- Les taux d’intérêt négatifs, qui permettent d’être sûr que tout ce qui est dans un compte en banque se déprécie
- l’effet « Lindy » : plus Bitcoin reste en vie longtemps, plus les gens lui font confiance
Auriez-vous des conseils à donner à un développeur qui voudrait contribuer, comme vous le faîtes, à l’écosystème Bitcoin aujourd’hui ? Et à quelqu’un qui n’est pas encore développeur et voudrait se lancer ?
ND : Pour ceux qui veulent se lancer : utilisez Bitcoin ou la multitude d’apps open source de l’écosystème, trouvez ce qui est cassé et réparez le. Mon livre https://programmingblockchain.gitbook.io vous aidera a comprendre les concepts Bitcoin.
Le portefeuille Bitcoin et LN Bluewallet a récemment indiquer travailler sur l’intégration de BTC Pay. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette intégration, et les possibilités qu’elle ouvrirait ?
ND : Je ne suis pas au courant de l’intégration de BlueWallet à BTCPay mais je suis content de savoir qu’ils l’envisagent.
Un immense merci à Nicolas Dorier d’avoir pris le temps de répondre à nos questions, ainsi que pour le reste de son oeuvre !
Une réponse sur “Bitcoin Accepted Here”
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